Sunday, September 07, 2008

SUPER-HEROS, CYBORGS ET PARALYMPIQUES

Je viens de finir le dernier et passionnant bouquin de Jean-Claude Guillebaud "Le Commencement d'un monde" dans lequel celui-ci fait une analyse très fine des nouveaux métissages culturels actuellement en cours sur la planète. Il consacre, notamment, tout un chapitre aux relations entre l'Occident et la Chine, pour observer qu'aujourd'hui les deux cultures sont rentrées dans un nouveau dialogue qui dessinera une des lignes de force de la modernité métisse du XXI° siècle.

Si je partage une bonne part de ces analyses, il apparaît aussi très clairement que la Chine vit encore très largement sous les codes occidentaux, notamment en matière d'urbanisme mais aussi dans de nombreux univers de consommation, et notamment le sport. L'Occident - et plus particulièrement les Etats-Unis - reste le modèle et le référent.

J'en veux, notamment, pour preuve les tenues officielles conçues par Nike pour les athlètes chinois à l'occasion des Jeux (voir photo ci-dessus), où l'on voit que la Chine n'a pas eu peur d'habiller ses athlètes en super-héros américains des années 50. Les designers de Nike ont, en effet, marier d'une façon presque caricaturale, la tenue de Flash et de Wonder Woman. (Plus ).

Je m'étais fait la même réflexion lorsque Nike (toujours lui) avait présenté au printemps sa PreCool Vest destinée à lutter contre la chaleur moite de Beijing. L'esthétique de ce super t-shirt frigorifié semble, en effet, complètement calqué dans son esthétisme sur la tenue de Batman.

Alors pourquoi je vous parle de cela ? C'est qu'une des images marquante de ces Jeux n'a pas été une de ces tenues (on ne les quasiment pas vues !!!), mais bien celle de cette nageuse sud-africaine, Nathalie du Toit, qui malgré une amputation de la jambe subie il y a 7 ans, a réussi à se qualifier pour participer à ses premiers JO sur l’épreuve du 10 kilomètres en eau libre.

Si ces images m'ont marqué - et notamment cette façon très décomplexée d'enlever sa prothèse avant les épreuves - c'est que parallèlement passaient sur les chaînes de télévision de nombreux pays des images presque à l'opposée de celles-ci. Il s'agissait d'un spot publicitaire Nike dans lequel on pouvait voir un autre athlète sud-africain amputé, Oscar Pistorius, qui, lui, n'a pas pu participé aux 400 mètres.
On avait avec ces deux athlètes, un choc des images et des messages un peu troublant car en apparence assez contradictoire.

Même si pour Nike il s'agissait avec ce spot de valoriser avant tout le courage et la volonté, plus que la performance, c'est la première fois qu'était mis sur un pied d'égalité, et dans un même spot, athlètes valides et handicapés.

Ce qui me conduit à me demander si ce spot ne serait pas les prémices d'une totale redéfinition du sport dont la première étape serait le brouillage des codes et qui viserait à justifier tous les artifices du moment que cela permet d'être compétitif. On sait, avec le dopage, ce que ce type d'approche a donné, notamment pour certains sport comme le cyclisme. Mais dans les années qui viennent le phénomène pourrait se généraliser avec le développement du dopage génétique dont nous parlent déjà les spécialistes pour les JO de Londres en 2012.

On aurait alors une césure encore plus grande qu'aujourd'hui entre le sport pratiqué par le plus grand nombre et celui de haut-niveau «Nous n'avons plus un sport pyramidal, nous avons deux mondes sportifs totalement dissociés avec, d’un côté, le sport spectacle qui passe à la télé et où les gens se dopent, et de l'autre, le sport de tous, où le principal souci est de se faire plaisir et de s’occuper de son corps" nous avait ainsi expliqué Gilles Dumas, directeur de Sportlab lors de notre Atelier Transit-City sur le thème "Et si la ville devenait un stade ?" Et il poursuivait "Cette incapacité des institutions sportives à comprendre cette évolution est fondamentale, car cela veut dire que ce ne sont plus elles qui feront le sport de demain, mais les marques capables de récupérer ou d'initier de nouveaux imaginaires, comme le fait Nike avec talent depuis plus de dix ans.»

Mais allons plus loin ...


Les images de Pistorius sont fortes - et encore plus quand celui-ci est à l'arrêt - car nous sommes là confrontés à une fusion homme-machine plus que troublante car non cachée, et même au contraire, exacerbée et valorisée. L'affiche de Nike donne une vision très dérangeante d'un nouveau type d'humain. Les deux prothèses sont ici associées la performance et ce en complet décalage avec notre vision habituelle des prothèses médicales.

Et c'est là, que l'on peut se poser une autre question.
La communication de Nike n'est-elle pas en train d'annoncer une mutation totale du sport de haut-niveau qui nous ferait passer de l'image du super-héros, c'est à dire de l'athlète dopé avec une super-combinaison, à celle de l'athlète cyborg hyper-équipé de prothèses d'un nouveau genre ?


Rappelons, en effet, que si Oscar Pistorius n'était pas aux JO de Beijing, ce n'est pas à cause de ses prothèses - le Tribunal arbitral du sport avait annulé l'interdiction que lui avait faite dans un premier temps la Fédération Internationale d'Athlétisme, au prétexte que rien ne démontrait que ces prothèses lui donnaient un avantage sur les valides - mais parce qu'il n'avait pas réalisé les minima exigés par la Fédération sud-africaine.

Donc rien n'interdit d'imaginer que lors des Jeux 2012, nous assistions à des confrontations valides / handicapés.

Si c'est le cas, nos rapports au corps, au sport et à la performance risquent de s'en trouver complètement chamboulé. Et peut-être qu'en 2026, quand cela fera la troisième fois de suite qu'un handicapé équipé de super-prothèses gagnera le 100 mètres en moins de 8 secondes, on regrettera le bon vieux dopage "piquouse + medocs" des années 2000.

Bref, et si sur ce coup là, c'est une nouvelle fois Nike qui avait un coup d'avance dans sa façon de préempter le sport du futur ?
Qui, dans cette optique, pourrait affirmer que cette vision d'Enki Bilal sur le foot de demain est une pure utopie ?


Si je vous parle de cela aujourd'hui, c'est que viennent de s'ouvrir à Beijing, les Jeux Paralympiques ou la fusion athlète-machine va être omniprésente notamment dans de nombreux sports comme le rugby sur chaise roulante.

Ce devrait être l'occasion pour les Chinois de regarder le handicap autrement, dans un pays où celui-ci est traditionnellement interprété comme un signe de malédiction jeté sur la famille.
Et ce même si, comme le reconnaît Jia Yong, le vice-président du Comité national paralympique chinois, "il est irréaliste de penser qu'accueillir les Paralympiques puisse tout changer du jour au lendemain. Cela va prendre du temps, probablement l'effort de plusieurs générations." (voir sa très intéressante interview, )

Et c'est sans doute à travers ce genre d'évolution, que l'on retrouve notre modernité métisse, dont je vous parlais au début de ce post à propos du livre de J.C Guillebaud. On y revient très bientôt.

Sur ces sujets des nouveaux rapports au corps, voir et .