Sunday, May 17, 2009

ET SI POUR LES JAPONAIS LA ROUE N'ÉTAIT QU'UNE PARENTHÈSE ?

Tout a commencé il y a une quinzaine de jours à Tokyo en lisant ces lignes : "Pourquoi le Japon a-t-il délaissé l'une des inventions majeures de l'histoire de l'humanité - la roue -, en sorte qu'au milieu du XIX° siècle, l'essentiel des transports s'y faisait encore à bras d'homme ?"

Cette phrase est la première de la préface que Jean-Marie Bouissou, directeur de recherche à Science po, consacre au livre d'Alan Macfarlane "Enigmatique Japon". Ces quelques lignes m'ont fait d'autant plus d'effets que je les ai lues le jour même ou je découvrais le Walking Assist Device de Honda.

Les explications d'Alan MacFarlane sur cette curiosité historique vous les trouverez, en partie, là : Why the Japanese gave up the use of the wheel. Mais dans son livre il est beaucoup plus complet. En substance, il explique qu'en raison de la géographie très escarpée du pays, les paysans japonais ont toujours été obligés de cultiver des terrains très pentus. Des terrains donc par nature peu favorables à l'élevage et à l'entretien d'animaux de traits, mais aussi aux engins à roues. C'est ainsi que les Japonais n'ont jamais adopté la brouette (oui, je sais, mais là on parle pas cul !!! ) alors que celle-ci avait été importée sur l'archipel dès la fin du XIII° siècle par les Chinois.

Et MacFarlane de s'interroger sur la mobilité des hommes et des marchandises dans une civilisation qui refuse la roue : "How then was the immense traffic in goods and people in Japan carried ? Apart from a very limited use of horses, and good water transport, the answer is basically on the human back and shoulders. The main method was by poles and racks."

Et d'observer en tant que bon historien britannique "From this brief account, it can be seen that Japan was at the opposite extreme to Europe, and especially England. Almost all those labour-saving technologies which helped England out of hard physical labour were either not utilized, or hardly employed.

Wind power, water power, animal power - all were little used by the Japanese, although they had known how to use them and were aware of their benefits from at least the seventh century.

It was not a question of information.

Deeper pressures in the social and economic structure led them to rely almost entirely on the muscles of human beings, rather than letting 'nature' take some of the strain
."

Mon premier réflexe a été d'aller chercher des images du Japon au début du XIX siècle, notamment auprès des artistes les plus représentatifs des années 1810/1830. C'est ainsi que je me suis replongé dans les Trente-six vues du mont Fuji de Katsushika Hokusai, et dans les Cinquante-trois relais du Tôkaidô réalisés par Andô Hiroshige. (Voir ci-dessous)

Et là l'évidence m'est apparue, sur aucune d'elles on ne voit quelque chose qui ressemble de près ou de loin à une roue. Tout quasiment se fait à dos d'homme et, exceptionnellement, à dos d'animal.

Et cette absence de roue est encore plus perturbante quand vous comparez ces estampes aux gravures faîtes à la même époque en Europe (voir ci-dessous) dans lesquelles on voit, certes, des chaises à porteurs, mais surtout des coches, des carrioles, des turgotines et des diligences.


Devant une telle découverte, j'ai tenté de repenser les récentes innovations japonaises en matière de mobilité autour de cette question toute simple : et si pour les Japonais la roue n'était, en fin de compte, qu'une parenthèse ? Et si pour eux la mobilité de demain passer par le dépassement de la roue ?

Voilà le premier résultat, encore très/trop superficiel, de mes premières réflexions autour de cette question.

Quand l'avenir passe par la marche.


Je ne vais pas revenir plus longuement sur le Walking Assist Device de Honda, ni sur l'influence des mangas dans cette créativité, sujet que j'ai déjà souvent abordé (voir et ).


Le vrai choc pour moi aujourd'hui est de découvrir que cette histoire a des racines beaucoup plus profondes que je ne l'imaginais. Et c'est qui me fait regarder toute la pop culture japonaise d'une autre façon, non plus comme une rupture relativement récente (avec Astro Boy comme point de départ), mais, au contraire, comme la prolongation d'une histoire plus ancienne fondée sur une défiance vis à vis de la roue et une idéalisation de l'homme marchant avec ou sans prothèse.

Quand l'avenir passe par le vol.

L'autre élément, qui a fait tilt dans mon esprit, est la façon dont les Japonais ne cessent de présenter depuis une dizaine d'années l'avenir du train autour de la sustentation magnétique, c'est à dire autour de la fin de la roue. Un peu comme si celle-ci était un réel frein à l'évolution du train (ou du métro). (voir ci-dessous avec, entre autres, les photos de différents maglev et du Linimo mis en place lors de l'expo d'Aïchi en 2005)


Et c'est en repensant à cette idée de dépassement la roue, que j'ai réalisé qu'une bonne part de la pop culture japonaise actuelle poursuivait depuis plusieurs décennies ce phantasme, notamment avec des séries aussi emblématiques que Galaxy Express 999.

Mais on retrouve aussi cette même idée dans bon nombre de films de Hayao Miyazaki, et notamment On Your Mark, ou la liberté est symbolisée soit par un camion qui vole, soit par un ange qui quitte ... une voiture.


Alors vous allez me dire; "Mais toute la science fiction porte ses idées !!" et "Il y a très peu d'engins à roues dans Star Wars !!" Certes -je vous le concède.
Mais toute la différence entre le Japon et les autres pays, c'est que cette idée de ne plus avoir besoin de la roue a des conséquences très très concrètes dans la façon dont les japonais pensent l'avenir, et que cela semble même irriguer une bonne part de leur pensées sur la mobilité du futur.

Et cela me laisse d'autant moins insensible que - rappelons-le - c'est au Japon que s'invente depuis 50 ans la modernité de la mobilité actuelle.

- Qui a inventé le train rapide ?
- Qui a inventé le walkman ?
- Qui a inventé le téléphone mobile ?
- Qui a lancé en masse la voiture propre ?


Et oui, les Japonais !!! Et devant une telle réalité, difficile de penser à l'avenir de la mobilité sans s'intéresser aux nouveaux imaginaires japonais.

PS : Voir dans cette veine et plus en détail, les projets de Norio Fujikawa, .